Moyennes

Récurrence simple, récurrence à deux termes, à trois termes, récurrence forte ... pour tous ces « principes » de récurrence, on a tendance à supposer une propriété vraie pour des entiers « petits » et à montrer qu'elle est encore vraie pour des entiers plus grands. Nous allons voir dans cet article un principe de récurrence qui n'obéit pas (enfin pas complètement) à ce schéma, puis nous utiliserons ce principe pour prouver une inégalité intéressante.

1. Un principe de récurrence bizarre

Commençons par quelques lemmes.

Lemme 1. Soit \(A\subset [|2,\infty[|\). On suppose que pour tout \(n\ge 3\), si \(n\in A\) alors \(n-1\in A\). On a alors \[\forall n\ge 2, n\in A\implies [|2,n|]\subset A\]

Démonstration. On fait une récurrence simple sur \(n\).

Lemme 2. Soit \(A\subset [|2,\infty[|\). On suppose que \(2\in A\) et, pour tout \(n\ge 2\), si \(n\in A\) alors \(2n\in A\). On a alors \[\forall k\ge 1, 2^k\in A\]

Démonstration. On fait une récurrence simple sur \(k\).

Lemme 3. Soit \(A\subset [|2,\infty[|\). On suppose

Alors \(A= [|2,\infty[|\).

Démonstration. Soit \(n\ge 2\). Il existe un entier \(k\ge 1\) tel que \(n\le 2^k\). Par le lemme 2, \(2^k\in A\) puis, par le lemme 1, \([|2,2^k|]\subset A\). Or, \(n\in [|2,2^k|]\). Donc \(n\in A\). \(\square\)

Voici notre principe de récurrence non standard.

Proposition [Principe de récurrence bizarre]. Soit \(P(n)\) une propriété dépendant de l'entier \(n\). On suppose

Alors, pour tout \(n\ge 2\), \(P(n)\).

Démonstration. Soit \(A=\{n\ge 2, P(n)\}\). \(A\) vérifie les hypothèses du lemme 3, donc \(A=[|2,+\infty[|\). \(\square\)

Nous allons utiliser ce principe de récurrence pas très classique pour montrer une inégalité qui, elle, est très classique.

2. Moyennes

2.1 Qu'est-ce qu'une « moyenne » ?

Soient \(a_1,\ldots,a_n\) \(n\) réels strictement positifs. La moyenne arithmétique de ces réels est le réel \[\mu(a_1,\ldots,a_n)=\frac{a_1+\ldots+a_n}{n}\] On voit aisément que \[\min\{a_1,\ldots,a_n\}\le\mu(a_1,\ldots,a_n)\le\max\{a_1,\ldots,a_n\}\] On pourrait de façon plus générale appeler « moyenne » toute fonction \(\mu\) vérifiant cette inégalité. Nous allons dans ce qui suit nous intéresser à un procédé permettant de fabriquer des fonctions de ce genre.

Soit \(f:\mathbb R_+^*\to E\) une bijection strictement croissante de \(\mathbb R_+^*\) sur une partie \(E\) de \(\mathbb R\). Soit \(g\) la réciproque de \(f\). La fonction \(g\) est elle aussi bijective et strictement croissante. Posons, pour tous \(a_1,\ldots,a_n>0\), \[\varphi(a_1,\ldots,a_n)=g(\mu(f(a_1),\ldots,f(a_n)))\] Soit \(k\in[|1, n|]\) tel que \(a_k=\max\{a_1,\ldots,a_n\}\). On a, par croissance de \(f\), \[f(a_k)=\max\{f(a_1),\ldots,f(a_n)\}\] et donc \[\mu(f(a_1),\ldots,f(a_n))\le f(a_k)\] En composant par \(g\), qui est croissante, il vient \[\varphi(a_1,\ldots,a_n)\le g(f(a_k))=a_k\] De même, \[\min\{a_1,\ldots,a_n\}\le\varphi(a_1,\ldots,a_n)\] Ainsi, \(\varphi\) est une moyenne.

2.2 Trois moyennes classiques

Reprenons les notations du paragraphe précédent en choisissant des bijections \(f\) sympathiques.

Nous allons dans ce qui suit nous concentrer sur ces trois moyennes, et montrer que pour tous réels strictement positifs \(a_1,\ldots,a_n\),

\[H(a_1,\ldots,a_n)\le G(a_1,\ldots,a_n)\le \mu(a_1,\ldots,a_n)\]

2.3 Moyenne arithmétique et moyenne géométrique

Proposition 2. Soient \(a_1,\ldots,a_n\) \(n\) réels strictement positifs. Alors \[G(a_1,\ldots,a_n)\le\mu(a_1,\ldots,a_n)\]

Démonstration. Montrons par récurrence bizarre sur \(n\) que pour tout \(n\ge 2\), \[(P(n))\quad \forall a_1,\ldots,a_n>0, a_1\ldots a_n\le \left(\frac{a_1+\ldots+a_n}n\right)^n\]

\[(ab)^n\le\left(\frac{a+b}2\right)^{2n}=\left(\frac{a_1+\ldots+a_{2n}}{2n}\right)^{2n}\] qui est la propriété \(P(2n)\).

Ainsi, par le principe de récurrence bizarre, la propriété \(P(n)\) est vraie pour tout entier \(n\ge 2\). \(\square\)

2.4 Moyenne géométrique et moyenne harmonique

Proposition. Soient \(a_1,\ldots,a_n\) \(n\) réels strictement positifs. Alors \[H(a_1,\ldots,a_n)\le G(a_1,\ldots,a_n)\]

Démonstration. On applique le théorème du paragraphe précédent à \(\frac 1 {a_1},\ldots,\frac 1 {a_n}\). Il vient \[\sqrt[n]{\frac 1 {a_1}\ldots \frac 1 {a_n}}\le \frac{\frac 1 {a_1}+\ldots+\frac 1 {a_n}}n\] Un passage à l'inverse donne le résultat. \(\square\)